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Controverse autour du recyclage
25 avril 2022

Extraits Interview Flore Berlingen

Dans « Recyclage, le grand enfumage - comment l'économie circulaire est devenue l'alibi du jetable », Flore Berlingen, directrice de l'association Zero Waste France, revient sur les différents mythes autour du recyclage, complice de la culture du « tout-jetable ».

Comment en êtes-vous venue à écrire ce livre ? 

"Pendant des années, nous nous sommes contentés à Zero Waste France d’expliquer que le recyclage n’était pas suffisant. Aujourd’hui, nous constatons que ce discours n’est pas entendu. C’est pour cela que nous avons décidé de le pousser un cran plus loin et d’être beaucoup plus radical : le recyclage n’est pas seulement insuffisant, il peut être contre-productif – et donc dangereux – en nous épargnant des choix de société pourtant urgents. Il faut donc absolument porter cette critique. Car si nous constatons beaucoup d’améliorations, la perception du recyclage – de plus en plus présenté et utilisé comme argument de vente – reste très problématique."

Pourquoi l’image cyclique du recyclage pose-t-elle problème ?

"Cette image d’un fonctionnement en boucle fermée est activement entretenue par le discours de certaines marques. C’est une illusion d’abord pour des raisons de limites techniques. Pour qu’il y ait recyclage, il faut réunir de nombreuses conditions. La recyclabilité technique en est une. Le geste de tri, par exemple, en est une autre une autre, et c’est d’ailleurs malheureusement celle sur laquelle les discours publics comme privés insistent le plus.

Quand nous sommes interrogés par les médias au sein de Zero Waste France, c’est le constat qui revient le plus souvent : si le recyclage ne fonctionne pas, ce serait à cause des individus, trop peu sensibilisés. Il y a pourtant de nombreux autres obstacles au recyclage qui ne relèvent pas d’un manque de bonne volonté de la part des citoyens. Pour qu’un emballage soit recyclable, il faut d’abord que le producteur de l’emballage en question ait fait le choix d’un matériau qui soit tout simplement recyclable. Or, la moitié des emballages plastiques mis aujourd’hui sur le marché ne le sont pas. Rien qu’avec cet exemple, on voit que la moitié du problème ne peut tout simplement pas être résolue par les citoyens."

Le plastique n’est-il pas recyclable à l’infini ? 

"On parle souvent du plastique mais il s’agit en fait des plastiques, car il en existe plusieurs types, plus ou moins (voire pas du tout) recyclables. Le plastique le plus recyclable d’un point de vue technique aujourd’hui est le PET, qui sert notamment à faire les bouteilles d’eau ou de soda. Lorsque le PET est recyclé, il perd sa transparence et certaines de ses qualités recherchées par les industriels. Résultat : les fabricants ajoutent toujours de la matière vierge pour conserver cette transparence. Certaines marques utilisent dans leur gamme du plastique recyclé (en partie ou à 100 %) mais ce qu’elles ne mentionnent pas, c’est qu’il faut plusieurs bouteilles de PET vierges pour produire une bouteille de PET recyclée."

"C’est là qu’est la tromperie : notre esprit associe l’expression 100 % recyclée à une boucle fermée, alors qu’il y a toujours une perte de matière. Si en plus la marque en question prévoit de gonfler son chiffre d’affaire, elle va vendre un nombre croissant de bouteilles et donc augmenter sa consommation de matières premières. Sans compter que le recyclage, quel que soit le matériau, n’est pas un processus neutre d’un point de vue environnemental : son processus de production a des impacts sur le climat, la consommation d’eau, etc. Le cœur du problème si situe donc au niveau de l’usage. Même recyclable, même recyclé, l’investissement en ressources ne sera pas rentabilisé d’un point de vue environnemental si l’on reste sur des objets à usage unique."

Qu’est-ce qui alimente cette illusion ? 

"Les effets d’annonce de certaines start-ups (du type « On a trouvé le moyen de recycler le plastique à l’infini ! ») ont tendance à alimenter ce mythe du recyclage à l’infini. C’est arrivé récemment, avec Carbios, l’une des start-ups les plus actives dans la recherche de nouvelles possibilités de recyclage. Spécialisée dans le recyclage enzymatique, cette start-up cultive des petites enzymes qui décomposent le plastique et permettent de le recycler. Sur le principe, cela n’est pas sujet à controverse car si l’on continue à utiliser du plastique, il faut bien faire évoluer les pratiques de recyclage. Le problème vient de leur manière de communiquer : le message est si positif que l’on arriverait presque à penser que les problématiques liées aux plastiques sont réglées, alors que leur process n’existe pour l’instant qu’en laboratoire.

Les scientifiques essaient en réalité depuis les années 1950 de trouver des systèmes de recyclage chimique du PET, et pourtant, nous fonctionnons toujours au recyclage mécanique. Ce type de recherche peut être une partie de la solution, mais ils ne régleront pas le problème de nos bouteilles en plastique. Par rapport à la quantité massive de plastique que nous consommons, cela ne pourra pas être une solution, et sûrement pas à un coût environnemental acceptable."

À qui doit-on ce manque d’informations ou même cette désinformation quant à la réalité des possibilités offertes par le recyclage ? 

"Je tiens quand même à préciser que je ne remets pas le recyclage en question : dès lors que l’objet a eu une utilité et une vie longue, il est tout à fait normal de vouloir le recycler ! Le problème, c’est l’instrumentalisation de ce processus. Une partie de la responsabilité pèse sur les acteurs économiques qui ont fondé leur modèle sur le jetable et qui, logiquement, mettent en avant le recyclage. Les premières campagnes de sensibilisation sur le tri ont d’ailleurs été menées par des industriels de la boisson aux États-Unis, mais aussi en France. Leurs intérêts économiques sont tellement liés au jetable que le recyclage est pour eux le seul moyen de préserver leur fonctionnement. Aujourd’hui, la marque H&M donne non seulement des bons d’achats pour chaque ancien vêtement rapporté afin de pousser à la consommation, mais elle déculpabilise sa clientèle en expliquant que ces vêtements seront recyclés. Or, à l’échelle globale, moins de 1 % des vêtements sont recyclés pour devenir de nouveaux vêtements. Enfin, il y a en effet ce biais, expliqué dans les travaux de Monic Sun et Rémi Trudel, deux chercheurs de l’université de Boston, qui ont fait des expériences sociales pour montrer que le recyclage avait une connotation tellement positive qu’elle pouvait nous amener à surconsommer une ressource qui nous était proposée. 

Mais il y a aussi une communication publique. Le discours toujours positif des campagnes publiques sur le recyclage tient selon moi à deux choses : en premier lieu, à une volonté de simplifier le message par peur que le tri ne soit pas réalisé, et ensuite, à la peur d’être en contradiction avec les investissements locaux. Si une commune investit plusieurs millions d’euros dans un centre de tri, il est ensuite compliqué de porter ou relayer un discours critique. Malgré tout, ce serait le rôle des pouvoirs publics d’expliquer cette complexité et d’expliquer que la priorité n’est pas au recyclage mais à la réduction à la source." 

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